La vie américaine à Champagné-Saint-Hilaire après la seconde guerre mondiale

 Suite à la deuxième guerre mondiale, un détachement de l’armée américaine sous mandat de l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) est venu s’installer à Champagné-Saint-Hilaire afin de protéger et maintenir un réseau d’antennes hertziennes érigées sur le sommet de la colline de Fougeré (village le plus haut de la Vienne).

 La visite, à Champagné en 2013, d’un militaire de l’US Air Force (David Sexton) ayant vécu cette période nous à incité à revivre ce moment particulier de l’histoire de notre Commune.

 Quel était le contexte historique :

 Dès la fin de la guerre les Américains avaient envisagé de créer une ligne de communication traversant notre pays. En avril 1947 un accord secret appelé accord Bidault-Caffery avait abouti le 16 avril 1948 à une acceptation par la France de lignes de communications traversant notre territoire.

 En juin 1948 les Soviétiques bloquent l’accès des occidentaux à Berlin. L’entente avec l’URSS est terminée et s’en suit une période appelée « la guerre froide ». En découle l’acceptation, par le traité de Washington le 06 novembre 1950, de la création de l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord, NATO en anglais) le 04 avril 1949.

 A partir du 25 juin 1950, la guerre entre les 2 Corées scelle la rupture entre l’occident (OTAN) et les soviétiques (Pacte de Varsovie). Dès le 27 juillet 1951 un accord est signé pour l’implantation d’un dépôt à Châteauroux.

 Plus de 20 000 militaires arrivent en France à la fin de 1951, plus de 40 000 en décembre 1952 et 61 000 seront présents en février 1959, jusqu’en 1966, suite à la décision du Général De Gaulle de quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN.

 Pourquoi le choix de Champagné :

 Comme l’indique, la carte ci-dessous,

 

 

 

 

Document : http://www.chateaurouxairstation.com

 

Champagné était sur un axe nord /sud et ouest/est stratégique compte tenu de l’emplacement de notre colline (195m) surplombant les plaines alentour, les zones de montagnes n’étant pas favorables aux réseaux de communications hertziens.

 Nous voyons aussi qu’il faisait partie d’un dispositif complexe englobant toute l’Europe de l’ouest.

 

   Carte des radios Relay Européens de l’OTAN          Document : Wideband Cen Europe 1961

 L’histoire commence à Champagné en 1954, par le rapport du Conseil Municipal du 03 octobre 1954, où on anticipe l’arrivée du matériel nécessaire à la construction de la base de Fougeré, par la réfection et l’élargissement du chemin de menant à la station.

 

 

 Evidemment, les Américains n’ont rien effectué concernant les chemins, et la commune, plusieurs fois, a amélioré l’alignement du chemin de Fougeré. La parcelle de 100 mètres sur 100 mètres précisément a été achetée à M. Davion et les constructions ont démarré sans trace dans les comptes-rendus de Conseil Municipal.

   L’installation du camp :

 L’entreprise Lamour en charge de la construction des bâtiments a effectué la construction de la caserne constituée d’un rez-de-chaussée simplement, du local du transformateur haute tension, du local technique à la base des 2 antennes, et de l’enclos de poteaux de béton fermé par une barrière sécurisée.

 

 

Vue détaillée de la zone du casernement (PR)                          Image Google Earth

 

L’emplacement ne comportait aucune végétation, sauf un poirier « porion cardinaux » au centre du terrain dont ils avaient blanchi le tronc. La pelouse était tondue de près et les aménagements extérieurs étaient entretenus par des prestataires de services. Michel Péronneau avait été sollicité pour entretenir l’extérieur de la clôture.

 

 

Le barbecue, la tondeuse et le pickup                                    Photo David Sexton

 Une entrée centrale du bâtiment principal, partageait celui-ci en deux zones. Les installations techniques furent effectuées par des techniciens venant de la base de Vierzon. Dans un premier temps, la caserne étant trop petite des tentes furent érigées pour loger les techniciens d’aménagement du site.

 A droite se trouvait la zone technique où régnait une ambiance calme, seulement perturbée par le ronronnement des installations électriques et électroniques. L’ensemble était bien éclairé par des tubes néon. Un établi avec outillage bien rangé au mur donnait une impression d’ordre. Les baies où étaient fixés les cadrans de contrôles et les sectionneurs étaient en bakélite, comme le montre la photo ci-dessous. Les chemins de câble de gros diamètre partaient vers le local technique extérieur.

 

 

La partie technique de Champagné                                          Photo David Sexton

 La partie consacrée à la vie des hommes, à droite de l’entrée, était simple mais rationnelle : à droite, une cuisine, à gauche un local pour les repas et la détente, et ensuite une chambre commune de 14 lits avec placards personnels. Au fond, une petite chambre pour l’officier. La vie se passait souvent sous l’auvent de l’entrée, dans l’escalier.

 

 Bob Buffalow au repos            Photo David Sexton

 Sauf lors de modifications techniques ou d’aménagements, l’effectif ne dépassait pas les 10 militaires. Il était constitué, de l’officier, d’un cuisinier, de gardes et de techniciens.

 Le reste de leurs équipements était stocké dans les hangars mobiles. L’un était dédié à la mécanique et au magasin technique et l’autre aux véhicules et accessoires, allant de la voiture au barbecue, en passant par la tondeuse à gazon et la Harley Davidson militaire.

 

 

L’entrée unique de la caserne                                                   Photo David Sexton

 

Cette unité dépendait, soit du détachement de Poitiers pour la logistique, soit de celui de Chauvigny pour la technique. Les antennes étaient des radio-relais. Elles communiquaient en micro-ondes hertziennes et étaient orientées à la fois vers Poitiers, Sauzais-Vaussais, Saint-Vincent et Chauvigny. Elles étaient, à Champagné un nœud stratégique du sud/ouest de l’Europe.

 

 

Un des deux radio-relais hertziens              Photo David Sexton

 

Les Américains avaient acquis leur autonomie électrique par leur alimentation haute tension et un groupe électrogène conséquent, mais il n’en fut pas de même pour l’eau. En effet ils firent un forage. Au bout d’une trentaine de mètres ils trouvèrent une nappe d’eau, mais à leur goût, pas en assez grosse quantité. Ils continuèrent donc le forage et au bout de 100 mètres, ils stoppèrent : la nappe phréatique avait été percée et plus aucune goutte ne sortait. De ce fait, jusqu’à leur départ en 1966, un camion citerne venait de Poitiers les approvisionner.

 

La vie des militaires Américains à Champagné : Dans ces années 50, les Etats-Unis vivaient une période florissante où la mécanisation intense des campagnes immenses pouvait contraster avec la pauvreté encore visible de nos contrées.

 Dans le chemin de Fougeré les GMC et les pickups y croisaient une paire de bœufs, parfois un attelage de deux chevaux, mais surtout des vaches et des chèvres allant au champ… un petit tracteur de temps en temps.

 Les militaires américains avaient des ordres pour avoir une attitude joviale avec la population. Ils saluaient lorsqu’ils croisaient les Champagnois. Les soldats étaient surtout des blancs, car ce petit coin isolé et plutôt tranquille était réservé à une élite choisie, et de bonne famille.

 Ils aimaient aller au bar de Berthe Viaud où ils rencontraient les filles à qui ils faisaient faire des tours sur leurs Harley Davidson.

 

 

 David Sexton et son Harley 1951                                                    Photo David Sexton

 La technologie fiable des antennes tournant de manière autonome, ces soldats ne pensaient qu’aux loisirs à Champagné ou à Poitiers. Hors les plaisirs de la moto ou des pickups, ils confectionnaient des cerfs-volants géants qui faisaient la joie des enfants de Fougeré et de Bois Vert. (Dont je faisais partie)

 De temps à autre ils mettaient leur sono à fond, et nous découvrions en 1956, « Love me tender » de Elvis Presley ou « Be-Bop-A-Lula » de Gene Vincent, Bill Haley, les Platers et les autres.

 En France, on écoutait encore les chansons d’Edith Piaf, de Luis Mariano, de Charles Trenet. Débutaient Brassens, Barbara, Gainsbourg, Brel, Léo Ferré. Ce n’est qu’après 1960 que le temps des « YéYé » arriva, avec Johnny Haliday, Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Adamo et les autres.

 J’ai aussi souvenir qu’avec Alain et Jean-Paul Dupuis nous allions à la grille du camp et qu’ils nous donnaient des chewing-gums que nous mâchions pendant des heures.

 Ils avaient l’ordre cependant de ne pas participer aux festivités villageoises. Par exemple nous ne voyions jamais de soldats de l’US Air force dans les bals nombreux à cette époque-là.

 De temps à autre la monotonie de cette vie sans surprise leur devenait pesante et au bar de Mme Viaud, le nombre de bières bues aidant, ils déclenchaient une bonne bagarre entre eux. Alors la mère Berthe avait des ordres ; Elle appelait la MP (Police Militaire Américaine), qui arrivait de suite avec un GMC. Deux grands noirs en sortaient et à coup de matraque chargeaient tout ce beau monde pour une soirée à la prison de la base de Poitiers ;Le lendemain on voyait revenir les lurons, avec des ecchymoses mais tout souriants et heureux de leur belle aventure musclée.

 

 

 

Berthe  Viaud (à droite) et sa sœur en 1955         Photo JP Dupuis

 Ils eurent un seul différend avec leurs voisins paysans. Ils avaient un chien, berger allemand magnifique. Ce pauvre chien avait cependant un défaut : il aimait les poules du voisinage et malgré les efforts de l’officier, parvenait toujours à trouver un trou sous le grillage. Une délégation de voisins mécontents se présenta à la caserne pour exprimer leur colère. L’officier parlait quelques mots de Français et il comprit le désarroi en voyant les poulets éventrés que lui présentaient les villageois. Il leur dit : « si problème chien, chien pan-pan ! » Quelques jours plus tard le chien était déposé mort devant la grille de la caserne.

 Malgré cela les relations étaient bonnes et les commerces de Champagné ne s’en plaignaient pas, compte tenu de l’appétit de ces grands gaillards, qui, il est vrai jonchaient nos fossés de cannettes de bière ou de packs de lait vide.

 Leur désinvolture pouvait donner lieu à des interventions inattendues comme l’indique le compte rendu du Conseil Municipal du 15 janvier 1964.

 

 

 Ils complétaient l’ordinaire par les produits locaux qu’ils trouvaient à leur goût, surtout les viandes.

 

 

 

 

David Sexton devant la boucherie Texereau en 1966               Photos David Sexton

 

Pourtant cette vie idyllique ne pouvait pas durer, et le 7 mars 1966, le Général De Gaulle fraîchement réélu, annonce au président américain Lyndon Baines Johnson le retrait de Paris du commandement militaire intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.

 Le démontage des antennes fut effectué soigneusement, celles-ci devant être remontées en Turquie. L’équipe composée de techniciens chevronnés dont faisait partie David Sexton, Bob Buffalow et des collègues, venaient de la base de Chauvigny. Ils étaient de l’US air Force, du 7th Radio Relay Sq Systèm Micro onde France et du Détachement 12 de la 2058th Radio Relay Sqdn

 

 

 

 

Le démontage des antennes en 1966                                                   photox David Sexton

 Le 14 mars 1967, plus aucune force américaine de l’OTAN n’est sur le territoire Français.

 Le terrain est mis en vente avec les bâtiments comme l’indique le compte rendu du Conseil Municipal du  10 mai 1966.

 

 
 

 Des antennes à Champagné :

 Cependant l’histoire ne s’arrête pas là, et rapidement le terrain fut repris par les douanes pour y installer un nouveau pylône de 100 mètres supportant plusieurs antennes. Puis d’autres opérateurs vinrent s’y ajouter. L’antenne des douanes fût même démontée le 15 juillet 2009.

 

 

 

Les antennes début 2009                                                                                Photo PR

 

 

 

La grue de démontage en 2009 devant l’ancienne caserne Américaine Photo PR

 
 
 Le retour du vétéran David Sexton :

 Le 28 avril 2013, par un beau jour de printemps est venu à Champagné, un vétéran de cette époque, David Sexton. Il arrivait de l’état de Géorgie aux états Unis, et revenait sur un passé qui lui avait été cher. Nous avons fait le tour de la Commune. Il trouva que la campagne s’était modernisée. Il me dit : The population was poor and sad, Les gens étaient pauvres et tristes.

 

 

Gilles Bosseboeuf (notre Maire), moi-même et David Sexton  à droite au bar restaurant « l’Hortense » de Champagné

 Il voulait revoir le paysage alentour, à partir de Fougeré dont il avait gardé un agréable souvenir. Il recherche aussi celles qu’il a transportées sur son Harley.

 Il nous a apporté un témoignage précieux sur cette période d’après guerre.

 Il aime les voyages et les sports mécaniques et vit sa retraite à Jonesboro (Géorgie, USA)

 Il est reparti vers les Amériques, et nous sommes restés en contact avec lui par les réseaux sociaux et l’internet.

 La présence américaine à Champagné n’a pas influencé le style et les habitudes de la commune, seuls quelques anciens se rappellent cette présence temporaire. Cependant quelques rencontres heureuses ont donné lieu à des mariages avec des Françaises, tels Dixon Giles, habitant Buxerolles (86) actuellement.

 Le site de vétéran de l’US Air Force :

 http://www.chateaurouxairstation.com/Squadrons/Radio%20Relay%20Stations/Radio%20Relay%20Stations%20-%20France.htm

 2013

 Texte de Pierre Rossignol

 Photos : David Sexton, Jean Paul Dupuis et Pierre Rossignol